C’est au marché Thilène, où m’emmena N., que j’achetai plusieurs écheveaux de coton écru. Le boutiquier les a emballés dans un grand sachet bleu en plastique.
De retour à la maison, les femmes assises sur la natte à l’ombre dans la cour, avaient considéré les bobines, tâté le fil, soupesé, commenté, fait tourner dans leurs mains avec des hochements de tête, des gestes de satisfaction. J’avais fait une bonne affaire.
Une fois que je maîtrisai le point du crochet, je dus dessiner un plan : les contours d'une succession de carrés d’environ 2 centimètres de côté.
1 côté correspondait à 5 nœuds de ficelle.
Je prévoyais d’obtenir ainsi une succession de bandes d’environ
25 centimètres de large auxquelles je donnais ma hauteur.
Ces bandes de coton seraient maintenues entre elles et tendues grâce à des supports verticaux en bois, de façon à obtenir un volume de la même dimension que
ma chambre.
Octobre. Un crépitement sourd m’attira dehors. Dans un fantastique concerts d'éclaboussures, les gouttes tombaient sur le manguier sans parvenir à transpercer le feuillage. Ce n’est qu’au
Dakar, septembre 2000. Un après-midi, j'ai mesuré ma chambre pour en dessiner le plan et pouvoir la reconstruire ailleurs dans une version plus légère en coton, une sorte de campement provisoire où j'habiterai.
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La surface au sol est de 13 m², la pièce est parfaitement carrée.
La surface totale des quatre murs mesure 30 m² dont :
- un mur aveugle en face de la porte d’entrée de 9,5 m2,
- un mur, contenant la fenêtre, de 7,3 m2,
- un mur mitoyen à la salle de bain de 7,4 m2,
- un mur donnant sur la cour de 5,8 m2
Il y a 5,8 m2 d’ouvertures, dont :
- une porte fenêtre de 2,64 m2,
- la porte de la salle de bain de 1,57m2,
- une fenêtre de 1,66 m2.
du sol
au lieu de s’infiltrer. L’air lourd qui s'élevait alors était un suintement chargé des parfums de la terre.
bout de dix longues minutes que je vis perler de petits ruissellements
sur le bord des feuilles et le long du tronc. Enfin les gouttes atteignirent le sable qui se piqua de brun. Les tâches se multiplièrent et se répandirent. L’espace d’un moment je reçus un peu de fraîcheur, il
était à nouveau possible de respirer. Mais rapidement le paysage se bouleversa à en se diluant dans un
voile de vapeur. Je compris que l’eau s’évaporait au
contact
Bordeaux, décembre. J’habite au troisième étage d’un immeuble de pierre, directement sous le toit, du côté imper d’un passage tracé à travers la ville depuis l’Antiquité.
Le 22 novembre, je répondis à une petite annonce trouvée dans la rubrique immobilière d’un journal et je pris rendez-vous pour le mercredi suivant pour visiter l’appartement. L’espace me convenait pour y reconstruire ma chambre dakaroise.
Je signai le bail ainsi qu’un chèque de caution. Je voulais commencer à travailler en décembre.
Au fond de la pièce principale, du côté où la charpente du toit descend le plus vers la rue, en laissant une hauteur de mur de 1,63 mètres, j’ai installé mon lit, un tapis et une commode. En partant de là, jusqu’à l’entrée de la pièce, il me reste une surface de 40 m2, sur une hauteur qui varie entre 2,24 et 2,96 mètres, soit un volume de près de
110 m³.
J’ai remis en fonction mon vieux réveil orange. Il tictaque dans la
cuisine un signal régulier identique à celui d’un métronome, jusqu’à ce que
j’omette de remonter son ressort, qui a une autonomie d'environ trente six
heures, en
manœuvrant à l’arrière, par rotation, une petite clé en forme d’un papillon
doré montée sur vis de façon à pouvoir se replier.
J’ai d’abord placé quelques morceaux de bois dont les longueurs s’adaptaient à la hauteur variable de mon plafond incliné. J’ai pu ainsi commencer à déterminer certains paramètres de ma future construction. Ce paysage vertical me rappelait des échafaudages de maisons en chantier que j’avais vus et photographiés à Yoff dans le quartier des pêcheurs de Dakar. Je me situe et travaille non pas dans la disparition des choses, mais dans leurs transformations, leurs détournements et leurs métamorphoses.
Ma nouvelle construction s’inscrit dans un lieu et un délai de temps définis à l’avance. Il s’agit d’y être présente par la construction, d’y résider, s’y trouver une place et des repères, mais d’une façon ponctuelle et particulière relative au passage et à une possibilité de prendre forme momentanément.
Les parois de filets tendus entre des tiges de bois,
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se dressent, entre les passages, tendues, fluides et légères, forment un réseau de circulations, obligent des détours sans obstruer la vue.
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Le dessin quadrillé forme de nouvelles déambulations verticales qui oscillent sous la tension alternée des raccords et des ruptures, entre des surfaces nouées et des percées plus ou moins larges qui s’arrondissent et s’étirent en soulignant les contours de nouvelles ouvertures. Les liens sont méticuleux et précaires.
du chêne, du noyer, de l’acacia, du tamaris, du pin et quelques bois flottés rejetés par l’océan
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Les filets d’environ 25 ou 30 cm de large sur 2,20 m de hauteur sont attachés entre eux grâce à de petits bâtonnets insérés dans les mailles.
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Sur le disque de verre qui compose ma table, j’ai déposé une nappe colorée et une vieille lampe de bureau en fer gris. A portée de main : une rame de papier, un dictionnaire, un cendrier, une paire de ciseaux et un
d’adhésif et une carafe d’eau. Ronde en verre transparent, elle se rétrécit dans sa partie supérieure pour donner forme
à un col allongé. Pleine d’eau elle
reflète et déforme un paysage renversé,
remodèle les volumes, plie les lignes droites, capture des objets rendus méconnaissables, renvoie des tâches informes de couleurs vives et lumineuses.
Je cherche, je puise, j’accorde. En même temps que je tisse les murs de ma chambre, les souvenirs resurgissent, parfois de loin, en bribes fracturées. Ils émergent en
désordre d’un ressac confus : un reflet sur la surface qui se fige un instant, une
image en écho aussi nette que si j’y étais encore. Le lieu, la position des gens, les
distances, les mots échangés. Ils me réveillent en pleine nuit pour que je me souvienne, que je pose des mots, que j’assemble les fragments, que je relie les morceaux.
J’ai vidé des cartons fermés depuis quatre ans, déballé quelques
meubles qui portent des étiquettes numérotées correspondant au registre du garde-meuble : 039873, 039880, 039851, 039866, 039844, 039847, 039879,
039848, 039871, 039846, 039878, 039875.
Mars. Je ne puis savoir si cette écriture prendra une forme, ni quel sera son cours, ni ce qu’elle sera. J’écris de la même manière que je construis des sculptures : à force d’accumuler de petits événements qui tendent à se perdre ou à passer inaperçus prêts à rompre les derniers filaments de mémoires qui leur servent encore d’amarres avant d’aller se dissoudre.
Rien n’est fixé définitivement. Toutes les parties sont numérotées et reproduites sur des plans.
Il y a toujours plusieurs chemins pour aller d’un endroit à un autre.
Cette écriture doit rester ouverte et donner des pistes vers des mondes qui cohabitent, infiniment diverses.
Avril. La table à laquelle j’écris est encombrée de notes, de plans et d’inscriptions raccordés par des bandes autocollantes, à la recherche d’une place dans le récit. Je ne parviens pas à habiter pour de bon mon nouvel appartement. Mon nom est inscrit sur la boite aux lettres et sur la sonnette de l’interphone. Je suis là dans une semi absence. Le présent tangible qui m’entoure immédiatement semble s’altérer. Les murs se déchirent, fugaces, pour s’emmêler à des images et des sons qui parviennent d’autres villes, d’autres maisons, d’autres rues dans lesquelles j’ai déjà séjourné. La mémoire est un abîme illimité qui s’ouvre sur des perspectives différentes mais simultanées, réparties en affluents. Le travail de l’écrit m’invite à scruter les détails et les indices engourdis. Je récolte, accumule, découpe, rattache, mesure les distances.