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sont devenues des assemblages

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appréciation entre les masses, les formes, les lignes et les distances. Je me suis approprié l'idée de Lévi Strauss selon laquelle toute communauté est issue d’un bricolage à partir de la diversité (La pensée sauvage, 1961).

Je suis convaincue que les rencontres entraînent les évolutions. Les éléments de mes sculptures coexistent grâce à leurs différences et dépendent les uns des autres. J'ai développé ma sculpture sur la notion d'alternance entre des pleins et des vides, des obstacles et des passages, des rythmes et des tensions, des

pas. Un jour j'ai décidé de ne plus tendre de toile et de considérer le châssis comme un espace ouvert que je pouvais traverser.

En 1996 j'ai passé quelques mois à Prague. À cette époque la ville était en chantier. De grands échafaudages se dressaient le long des façades en restauration. J'ai eu la chance de rester

Jusqu'à mon arrivée à Bourges en 1994, je pensais que j'étais peintre. Cependant, le travail qui m'occupait le plus consistait à bâtir les châssis de mes toiles avec des liteaux de bois, des équerres, des clous, des agrafes. Ils étaient au moins aussi grands que des encadrements de portes. Puis je tendais des toiles que je trouvais, de vieux draps de coton ou des sacs de jute que je blanchissais avec de la colle à bois mélangée à de l'acrylique. Mais mon travail de peinture ne me satisfaisait

Alors j'ai construit des sculptures en trois dimensions avec des lattes et des poutrelles de bois récupérées que je consolidais avec du plâtre. Plâtrier, c'était le métier de mon grand-père. Dans mon enfance j'avais fréquenté son atelier. Étudiante aux Beaux-Arts, je continuais d'utiliser ses outils, la scie, le marteau, le mètre ruban, la truelle.

Puis j'ai été obligée de réduire les dimensions de mes sculptures car elles devenaient très lourdes et je devais solliciter l'aide de plusieurs personnes quand j'avais besoin de me déplacer.

Cette échelle réduite ne m'empêchait pas de continuer à me projeter dans ces espaces, 1m3 en moyenne, comme dans des architectures potentiellement habitables. Daniel Dezeuze avait commenté ce travail : " C'est du mobilier, au sens mobile." Tels des lieux de passage, mes sculptures restaient ouvertes et vides.

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assez longtemps pour voir ces échafaudages se déplacer d'un immeuble à un autre. Ils étaient démontés puis reconstruits plus loin. Ce mouvement m'a passionnée. Mes sculptures

temporaires et légers. En plus, elle étaient capables de prendre des formes différentes en changeant de place.

 

J'étais toujours en quête de nouveaux matériaux de construction : bois, métaux, cartons, tôles, plaques,planches, tiges, tuyaux, grilles. Même si la provenance des matériaux n’était plus d’actualité dès lors que je les avais extraits de leur contexte, j'étais très intéressée, en préambule, de les identifier à travers des personnes et des lieux rencontrés au cours

de ma récolte. Il s’agissait là déjà de créer des liens improbables. Mais je n’avais ensuite aucun souci de préservation ou de conservation dans mon action de récupération. Et même au contraire, mon travail s’inscrivait dans un mouvement de transformation et d’évolution,

où tout est temporaire, où rien n'est jamais fixé de façon définitive. Une fois triés, retaillés, nettoyés, j’ai articulé ces fragments dans des réseaux ramifiés où chacun occupe une place

 

 

 

précise en relation avec les autres.

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J'ai bâti des systèmes simples où l’équilibre naît d’une juste

Empédocle d’Agrigente, au Vème siècle avant l'ère chrétienne, pensait le monde matériel comme un aboutissement provisoire de diverses et hasardeuses tentatives d'assemblages. Des éléments isolés « de nombreuses têtes privées de cou, et des bras, erraient, séparés du tronc, sans épaules, et les yeux allaient ici et là privés de front », puis ils « se réunirent […] sous la forme d’un homme, ou sous la forme de quelque espèce d’animal sauvage […]. Il en va de même pour les plantes, les poissons qui habitent les eaux, pour les bêtes des montagnes et les oiseaux qui glissent sur leurs ailes » (extraits des fragments 35, 9, 57 et 20).

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J'ai ouvert encore plus mes sculptures pour les alléger toujours davantage. Leur caractère temporaire est devenu de plus en plus visible. Cette précarité a créé des tensions qui ont donné de l'importance aux liens qui les maintiennent provisoirement en équilibre.

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En 2008, j'ai construit des petites Pièces Détachées en céramique que j'ai décrites dans BOGO. Extrait : On les a posées sur la petite table basse en bois verni autour de laquelle nous étions assis. Durant toute la soirée, tandis que nous parlions de choses et d’autres, chacun

prenait à tour de rôle les pièces sur la table, les retournait, les faisait tourner, les rangeait côte à côte, changeait la position. A un moment on les a rassemblées dans un coin de la table pour faire de la place. Plus tard on a cherché à les emboîter. Elles n’ont cessé d’être manipulées, passées de main en main, reposées un peu plus loin, empilées, calées sur une autre face. […] Au cours de la soirée

j’ai observé la progression de leur cheminement comme se déroule un

superpositions et des transparences, des mises à distance et des correspondances.

filetées comme sur des axes de balanciers, sans connaître à l’avance l'équilibre qui va fonctionner.

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Je ne dessine pas mes sculptures avant de les réaliser. Je travaille directement avec les matériaux, en tâtonnant, en faisant plusieurs essais. C'est en hésitant que je trouve des solutions. Par exemple, pour les Mobiles, je peux ajouter ou extraire de la matière et jouer sur les écartements le long des tiges

plan séquence. Mobilité, temps d’arrêt, hésitations, changements de direction, accélérations, retournements… Il n’y a pas eu un moment que j’ai préféré à

un autre. Il ne fallait pas arrêter le mouvement ni rien figer. Elles devaient nous échapper, à l’image, évoquée par Sory Camara (Vergers de l’aube, 2001) du « poisson à peine entrevu » qui « file dans le courant ».

Extrait du catalogue des artistes en résidence à Monflanquin,

photographies : Thierry Vidal, texte : Didier Arnaudet, 1998.

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