Le texte que j'avais écrit, parsemé de dessins et de plans correspondants aux lieux que j'évoquais dans l'écriture, se ramifiait dans plusieurs directions en partant dans des récits de voyages qui se croisaient et se faisaient écho.
À force d'être manipulé, découpé, raccordé, ce texte a pris corps : page à page posées verticalement sur la tranche, il a pris la forme d'une petite architecture labyrinthique en carton qui est devenue à son tour la maquette d'une sculpture. Jean-François Dumont m'a invitée en janvier 2003 à bâtir cette sculpture à l'échelle de la galerie dans la librairie Mollat.
j'ai dessiné de nouveaux plans et la sculpture avec des matériaux de différentes provenances agencés entre eux à l'aide de vis et rapidement démontable à la manière d'un campement nomade.
Ces éléments permettaient de délimiter un territoire imaginaire. On pouvait passer entre, autour et à l'intérieur. Chaque branche de la sculpture correspondait à une page du livre. Il y avait plusieurs entrées et plusieurs parcours possibles. C'était une invitation à déambuler, le livre à la main, dans un parcours géographique.
Branches n°79 à n°82 de la sculpture, librairie Mollat 2003
Vue d'une partie de la sculpture, librairie Mollat 2003, hauteur maxi : 125 cm.
Extraits des fragments n°10, n°12 et n°13
du texte :
Octobre. Sur le quai de ciment inondé de brouillard, une foule de gouttes microscopiques amassées légèrement flottantes au milieu de l’air, je restai à peu près immobile pendant un moment où le froid, perçant à travers mes vêtements, atteignit le long de mon dos en pinçant légèrement d’un parfum dénué de la moindre poussière de sable.
A une centaine de mètres environ de la piste, mais les distances dans les dunes étaient difficilement appréciables par quelqu’un qui n’y avait pas été habitué, se tenaient les grandes toiles d’un village maure. On avait passé la frontière un soir de ramadan et de pleine lune au niveau d'un barrage sur le fleuve. À l’heure de la coupure, les douaniers avaient fait du thé et mangeaient des dattes sèches pendant que le soleil fondait lentement dans l'eau.
De lointains parfums de tchuraï s’enroulaient autour des cheminées de brique à l’haleine fumante. L’hiver allait venir avec certitude, absolument inconnu là d’où je venais, mais avec l’évidence d’un lieu commun dans cette autre partie du monde où je me trouvais maintenant.
Une multitude de voyageurs se pressèrent d’un seul mouvement au bord de la voie numéro deux. Neuf heures six minutes. Un haut-parleur annonça l’arrivée du train. Je sus que bientôt j’aurais quitté cette gare et ce quai, que je monterais dans le train qui n’était pas encore visible, pour prendre une nouvelle place provisoire qui serait la mienne pendant un moment. Depuis l’intérieur du wagon, juste avant que le train ne se remette en marche, je pourrais jeter un coup d’œil sur la rangée des quatre sièges en plastique vert, et voir que le mien serait vide.
Branches n°1 à n°3, n°10 à n°14 et n°20 à n°21 de la sculpture avec le livre et un plan à disposition des visiteurs.
Extraits des fragments n°48 et n°49
du texte :
Juste avant de partir à l’aéroport de Milan, je montai à Brunate par le funiculaire. J'ai lu plus tard qu'à l’automne 1786, Goethe, qui visitait Venise à quelques kilomètres de là, tacha d’abord de se « retrouver » en s’orientant « seulement d’après les points cardinaux ». Le lendemain, pour compléter son « idée » de la ville, il se procura un plan, et après « avoir étudié sommairement ce dernier » il monta sur la tour de Saint Marc.
Par le temps très clair de cet après midi de juillet 1998, se découpait distinctement la boucle du lac le long de laquelle était construite, à l’est, sur notre gauche, la ville, selon un dessin exactement inversé par rapport aux plans sur lesquels j’avais travaillé depuis un mois. Nous étions en effet orientées exactement vers le sud. Je pus aisément reconnaître chaque rue, la via Natta où j’avais dégusté le latte macciato, la via Diaz que j’avais empruntée pour me rendre à la bibliothèque, via Luini pour rejoindre la piazza Duomo, via Volta où quelqu'un qui me vit dessiner sur les rues de mes plans, voulut m'aider et me demanda où je souhaitais aller, piazza del mercato et sa belle église San Fedele dont les murs intérieurs sont recouverts de fresques, d’autres passages dont j’avais découvert les détails des recoins et des textures, et qui apparaissaient maintenant rassemblés en un seul point de vue comme dans une reproduction en miniature.
Branches n°50 à 55, n°57 à 63, n°64 à 67 et n°79 à 82.