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Le contexte et la mise en route du projet : au mois de janvier 2013, à cause de la guerre, j'ai dû renvoyer à plus tard mon voyage prévu au Mali. Depuis plus d'un an, un plan de la galerie chez-robert était posé sur mon bureau. Je décidai de reprendre contact avec MDLX. Le 21 il me répondait : « le lieu est construit en mdf de 8 mm d'épaisseur mais on peut imaginer utiliser un autre matériau [...] il n'y a pas de règles, souvent les artistes viennent dans mon atelier (dans le Jura) d'autres fois je me déplace. Dans tous les cas de figure il y a rencontre et je m'occupe des images. Pour votre projet il serait bien dans un premier temps d'avoir quelques croquis et un concept général, on verra ensuite si ça peut aboutir. »
Construction de la maquette.
Des repères sur un plan de la galerie chez-robert.
L'élaboration du projet : j'ai travaillé chez-robert sur des plans à 650 kilomètres de distance à partir de nouvelles mesures de la galerie que MDLX m'avait envoyées. Comme l'on se projette dans l'étude d'un espace habitable, j'ai imaginé des circulations, cherché des repères, inventé des gestes et tracé des lignes.
J'ai construit dans mon atelier une maquette de la galerie, les murs et les plafonds. J'ai découpé les ouvertures des portes et découvert des perspectives. J'ai reproduit l'inclinaison du toit sous lequel s'étend le volume vide de la plus grande salle.
Je souhaitais que mon intervention s'inscrive dans la continuité de ce territoire, qu'elle réponde à son architecture en venant se greffer sur son dessin.
Au début, j'avais pensé bâtir une sorte d'échafaudage qui viendrait s'appuyer sur les murs, les transpercer et les prolonger en les déformant grâce à un réseau de lignes, de tensions et de divers matériaux. Mais j'ai finalement préféré une construction plus légère, plus aérienne, qui resterait mobile et fluide.
J'ai d'abord arpenté le territoire de la galerie de manière aléatoire, comme lorsque l'on se déplace sans raison précise d'un côté où de l'autre et que l'on avance à un rythme soutenu en traçant des courbes dans plusieurs directions, j'ai laissé des traces sur le sol. Sur ce dessin, j'ai marqué des repères à l'emplacement des principaux points d'intersections. J'en ai compté environ trois cent cinquante. J'ai reporté cette nouvelle cartographie de constellations sur le toit et le plafond de la galerie.
« Ce n'est qu'après avoir étudié les mouvements célestes [...] que nous pouvons stabiliser les mouvements qui en nous ne cessent de vagabonder », Platon, Timée.
Au mois de mars j'ai envoyé des images de mon chantier à MDLX. Début avril nous avons pris rendez-vous au téléphone. Au cours de notre conversation, il a employé le terme d' « ancrage » pour qualifier mon projet, sans savoir qu'une partie de mes racines se trouvaient à très peu de distance de sa galerie, dans une région que je n'avais encore jamais visitée.
Vue du projet en chantier dans la maquette : le rideau de pluie dans une des petites salles près de l'entrée, fils d'acier calés entre le sol et le plafond.
Mon projet : Quand on entre Chez Robert, l'espace est divisé en quatre parties. L'entrée, la pièce dite « le bureau » (à droite) et celle « de vidéo » qui est plus sombre (sur la gauche), occupent à elles trois la moitié de la surface de la galerie. Elles sont construites sous un plafond qu'il est possible de percer aux endroits de mes repères. Ces trous vont maintenir verticalement les tiges métalliques qui passeront au travers et viendront se poser au sol. La légèreté et la souplesse des tiges métalliques vont donner à ce paysage une dimension fluide et presque liquide comme le serait un rideau de pluie.
La quatrième pièce, celle du fond, est la plus grande. Elle occupe la seconde moitié de la galerie. Elle est aussi plus haute et s'ouvre en longueur sous les pentes inclinées du toit. Il est possible ici de reporter à la fois sur le sol et sous le toit, la carte marquée de mes repères pour y placer des cavaliers (environ deux fois cent quatre vingt dix). Leur position est fixe. Les lignes ocres des élastiques tendus, qui viendront relier temporairement ces points, ne seront pas verticales. Elles resteront susceptibles de se mouvoir et de prendre différentes positions. Elles sillonneront l'espace en une multitude de combinaisons possibles. Ainsi, plusieurs figures seront visibles depuis les différents points de vue.
La réalisation et le voyage : je fis le voyage au mois d'août. La nuit était déjà tombée quand je suis arrivée dans le Jura. Je suis restée trois jours. Nous avons travaillé dans la galerie pour installer mon projet in situ. Le plafond des trois petites salles près de l'entrée a été percé d'une multitude de petits trous pour faire passer des tiges d'acier qui ondulaient verticalement. L'espace devenait presque saturé, pratiquement inaccessible, obligeant l'hypothétique visiteur à se glisser de biais avec précaution dans les interstices.
Dans la grande salle, beaucoup plus haute sous la pente du toit, nous avons planté 380 cavaliers dans le sol et sous la toiture pour tendre des trajectoires étirables et amovibles. Les lignes obliques de mon dispositif pouvaient se tendre dans plusieurs directions. Des crochets ouverts, positionnés à chaque extrémité des élastiques facilitaient leurs déplacements d’un cavalier à un autre. Les inclinaisons et les croisements pouvaient varier. Ici, le visiteur serait mis à contribution pour déplacer, au hasard ou à sa guise, l'orientation des lignes et pour faire varier, en conséquence, le tracé des chemins accessibles.
MDLX a pris une grande quantité de photographies que nous avons triées ensemble dans l'après- midi du deuxième jour.
Vue du projet en chantier : les tiges qui ondulent à l'entrée de la galerie. Au fond, dans la grande salle, on voit les cavaliers plantés dans le sol tels une multitude de points d'amarrage.
Une version de ce texte à été présentée lors de l'exposition collective rétrospective chez robert au FRAC Franche Comté au printemps 2015.
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Prologue :
le troisième jour, avant de me raccompagner à l'aéroport de Lyon, MDLX accepta de faire un détour par le village de mon arrière-grand-père.
Le GPS nous a été utile pour retrouver la maison au bout d'un chemin de crête. Nous y avons rencontré monsieur Raymond qui vint au devant de nous croyant que nous étions égarés et qui nous accueillit chaleureusement dans son domaine rempli d'une telle variété d'animaux qu'on aurait cru se trouver sur l'arche de Noé. Chevaux, moutons, oies, canards, ânes, chiens, chats, cochons. Chacun avait un nom. "Ce sont des animaux abandonnés ou blessés, on me les amène pour que je les soigne et finalement ils restent ici" nous a-t-il expliqué.
Mais monsieur Raymond n'habitait là que depuis quelques années. Il ne pouvait pas me renseigner sur mon arrière-grand-père. Il nous présenta sa vieille voisine, "il faut lui parler fort car elle est sourde". La vieille dame me dit que la maison avait été construite par son père et n'existait pas encore à l'époque de mon arrière-grand-père. Mais elle promit de faire une enquête. "Le bouche à oreille fonctionne très bien par ici" précisa, optimiste, monsieur Raymond.
Effectivement, quelques semaines plus tard je reçus un appel d'une amie de la vieille voisine qui me mit sur la bonne piste : mon arrière grand-père était bien né dans ce village, mais dans la famille de sa mère qui portait un autre nom.
Pour terminer la visite, monsieur Raymond désigna sa camionnette aménagée en forge ambulante qui lui permettait d'aller travailler à domicile dans les fermes de la région. Monsieur Raymond était un forgeron. Je fus stupéfaite. Mon arrière-grand-père n'avait pas vécu là, mais : c'est une famille de forgerons, chez qui j'ai travaillé à Bamako en 2008, qui m'a donné mon nom malien par lequel on me désigne toujours quand je vais au Mali.
Au cours de l'été 2013, les Maliens venaient d'élire un nouveau président, la situation du pays devenait plus calme, J'allais repartir bientôt.
voir l'exposition pour l'Instant
sur le site de la galerie chez robert :
Jean-François Dumont, le 2 septembre 2013 :
On entre « chez-robert » plus facilement que dans n’importe quelle autre galerie, avec le regard d’un enfant émerveillé devant une crèche. Les deux propositions d’Emmanuelle Samson occupent tout le volume, ne laissant que les murs vides et blancs. Qui, voyant ainsi une vitrine expérimentale, aurait osé franchir le seuil et s’aventurer dans cette forêt d’éclairs métalliques et de caoutchoucs en tensions ? Une exposition comme celle-là se gagne ! La plupart seraient restés sur le seuil, inquiets plus que curieux. Mais ici, la variation d’échelle empêchant physiquement le corps, libère le regard. Douze photographies sur le site sont l’unique accès. Douze vers, formulant une strophe visuelle, pour la plus grande gourmandise de l’œil qui se projette dans un espace qu’il est seul à pouvoir parcourir. L’art est chose mentale ! Oui, et surtout si l’artiste, comme ici, a acquis une réelle expérience de son corps, des mouvements, des déplacements et des constructions. Elle arpente, elle assimile, elle pressent les transformations. Elle rêve des trajectoires. C’est là sa science. Un art de la trajectoire qui nous permet à nous, spectateurs, de vivre des visions et des dimensions singulières.
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